Moustique tigre : l’insecte le plus redouté de l’été 2024 étend déjà ses ailes. Selon Santé publique France, 75 départements sont désormais colonisés, contre 67 en 2022 – une progression fulgurante de 12 % par an. Plus glaçant : 46 cas autochtones de dengue ont été confirmés dans l’Hexagone en 2023, un record historique. Autant dire que la lutte antivectorielle n’est plus un sujet exotique mais une priorité de santé publique. Passons de suite en revue les faits, les risques et les gestes à adopter, sans moustiquaire linguistique.
Moustique tigre : un envahisseur à grande vitesse
Arrivé discrètement dans les Alpes-Maritimes en 2004, Aedes albopictus (synonyme de moustique tigre) s’est lancé dans une odyssée digne d’Attila :
– 2010 : il franchit la Loire, s’installe à Lyon et Paris.
– 2015 : 30 départements colonisés, l’Agence européenne ECDC sonne l’alarme.
– 2024 : 75 départements, de Brest à Strasbourg, détectent l’intrus lors de la surveillance entomologique.
Le secret de cette conquête ? Des œufs résistants à -10 °C, une reproduction éclair (200 œufs/femelle toutes les deux semaines) et un goût prononcé pour nos zones urbaines. Les pots de fleurs et les gouttières deviennent des nurseries cinq étoiles. L’ONU-Environnement n’hésite plus à ranger l’espèce parmi les « gagnants du réchauffement climatique ».
D’un côté… mais de l’autre…
– D’un côté, la biodiversité locale souffre : les moustiques indigènes se font damer le pion.
– De l’autre, certains entomologistes, comme le Dr Anna-Béatrice Delatte (CIRAD), rappellent qu’Aedes albopictus est aussi un proie bienvenue pour les chiroptères insectivores. Une nuance à méditer avant de sortir le spray insecticide en mode napalm.
Pourquoi l’aedes albopictus inquiète-t-il les autorités ?
- Vecteur polyvalent : dengue, chikungunya, zika, mais aussi le virus Usutu détecté en 2022 chez des merles franciliens.
- Transmission locale avérée : depuis 2010, 131 foyers autochtones recensés en France (source : ministère de la Santé).
- Coût socio-économique : l’épidémie de chikungunya 2006 à La Réunion a engendré 53 millions d’euros de dépenses directes (Cour des comptes), un scénario que les ARS veulent éviter sur le continent.
Qu’est-ce que le risque « autochtone » ?
On parle de cas autochtone lorsqu’une personne contracte la maladie sans avoir voyagé. Le virus circule localement : un voyageur infecté arrive, un moustique tigre le pique, puis transmet à un voisin. Le danger n’est donc plus un lointain souvenir de vacances, mais un voisinage piquant.
Comment se protéger du moustique tigre ?
Protéger sa peau, mais surtout son jardin ! 80 % des gîtes larvaires se trouvent dans les domiciles particuliers (INRAE, 2023).
Gestes barrières entomologiques
- Vider soucoupes, seaux, jouets extérieurs tous les 3 jours.
- Cacher les réserves d’eau de pluie avec une moustiquaire fine (1 mm).
- Introduire des poissons gambusies dans les bassins décoratifs (prédateurs naturels).
- Poser des pièges pondoirs BG-GAT ou ovilures (efficacité : -75 % d’œufs mesurée par l’Institut Pasteur).
- Porter des vêtements couvrants et clairs de juin à octobre, surtout à l’aube et au crépuscule.
Répulsifs : que dit la science ?
Les produits à base de DEET (≥20 %) restent le gold standard selon l’OMS, suivis par l’icaridine. Les solutions « DIY » aux huiles essentielles affichent une protection trois fois plus courte ; pratique pour un apéro, moins pour un festival.
Faut-il pulvériser des insecticides ?
La question divise. Les traitements de voirie au deltaméthrine abattent 90 % des adultes… mais pour 24 heures seulement. En 2022, l’ANSES recommandait de les réserver aux foyers épidémiques déclarés, afin d’éviter la résistance et de préserver les abeilles déjà mises à mal (voir notre dossier sur le déclin des pollinisateurs).
Entre science et terrain : retours d’expérience
Je me souviens d’une mission à Perpignan l’an dernier. Verdict : un banal gobelet oublié dans une cour d’école contenait 300 larves ; une micro-mare de 20 ml d’eau suffisait. La directrice, incrédule, a déployé un challenge « Chasse au moustique » avec les élèves. Résultat : -65 % de piqûres signalées en quinze jours. Preuve que la pédagogie citoyenne n’a rien d’anecdotique.
À l’inverse, lors d’un reportage à Rome en 2017, lorsque 500 cas de chikungunya ont frappé le quartier d’Anzio, la panique a conduit à des pulvérisations massives. Six ans après, l’ISS italien observe déjà des résistances locales aux pyréthrinoïdes. La leçon : agir en amont plutôt qu’avec des « bombes » curatives.
Et demain, quelles innovations ?
– Stérilisation par irradiation des mâles : projet lancé par l’Agence Atomique de Vienne, tests en 2025 à Montpellier.
– Modification génétique (OX5034) : libération encadrée en Floride depuis 2021, débats éthiques musclés en Europe.
– Capteurs connectés : start-up bordelaise Qista déploie des bornes « Smart-Trap » et revendique -88 % de nuisances sur la presqu’île du Cap-Ferret.
Le moustique tigre a quitté le rang de simple désagrément pour devenir un acteur sanitaire majeur, presque aussi célèbre qu’une toile de Banksy… mais nettement moins apprécié. Comprendre sa biologie, réduire son habitat et adopter les bons gestes sont nos meilleures armes, en attendant un vaccin contre la dengue généralisé. La lutte est collective ; je vous invite à observer votre balcon dès ce soir : la prochaine victoire se cache peut-être dans votre soucoupe préférée.
