Moustique tigre : en 2024, l’insecte le plus tweeté de l’été a déjà colonisé 78 départements français, soit +10 % en un an selon Santé publique France. Pire : une étude de l’Institut Pasteur publiée en mars 2024 rapporte que 67 % des foyers métropolitains ont repéré Aedes albopictus avant même le retour des chaleurs. Les piqûres ne sont plus qu’une irritation passagère ; elles deviennent un sujet de santé publique majeur. Accrochez-vous, on plonge dans la jungle urbaine.

Carte 2024 : le moustique tigre gagne du terrain en Europe

Au début des années 2000, Aedes albopictus n’était qu’un voyageur clandestin débarqué d’Asie dans les pneus d’occasion (le stéréotype est vrai). Aujourd’hui, il flirte avec la Manche, s’implante à Bruxelles et explore Milan comme un touriste fasciné par Léonard de Vinci.
– En France, 78 départements sur 96 sont « colonisés » (dont la Nièvre et la Sarthe, entrés en zone rouge en mai 2024).
– En Espagne, le ministère de la Santé signale sa présence constante sur la Costa Brava et, depuis février 2024, dans les faubourgs de Barcelone.
– L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que 7 % de la population européenne vit désormais dans des zones à risque de dengue d’origine autochtone.

Pour mémoire, les premiers cas autochtones de chikungunya en métropole datent de 2010 à Fréjus. La dengue, elle, s’est invitée à Nîmes puis à Paris-13e en 2023. Autrement dit, l’Hexagone ressemble de plus en plus à un décor tropical… sans les cocotiers.

Pourquoi le moustique tigre prolifère-t-il aussi vite ?

La question tombe systématiquement lors des réunions de copropriété. Spoiler : ce n’est pas qu’une affaire de canicule.

Climat, transports, urbanisation

  • Climat : les hivers plus doux depuis 2014 augmentent le taux de survie des œufs de 15 % (chiffre INRAE 2023).
  • Transports : chaque jour, environ 2 000 camions franchissent les Alpes. Ils ne transportent pas que du parmesan.
  • Urbanisation : nos jardins regorgent de mini-réservoirs (soucoupes à pot, gouttières, jouets d’enfants). En 2023, une étude lyonnaise a comptabilisé 327 points d’eau stagnante dans un seul pâté de maisons près de la place Bellecour.

D’un côté, l’insecte s’adapte plus rapidement que Napoléon lors de la campagne d’Italie ; de l’autre, nous lui offrons un Airbnb géant. Résultat : une expansion géographique fulgurante, presque digne d’une tournée mondiale de Beyoncé.

Comment se protéger efficacement ?

Le but n’est pas de vivre sous cloche, mais d’appliquer des gestes simples, répétés et — surtout — vérifiés scientifiquement.

Les trois D de la prévention

  • Débusquer : videz chaque semaine les soucoupes, arrosoirs, bâches et vieux pneus (encore eux).
  • Dissuader : privilégiez les vêtements longs et clairs, imprégnez moustiquaires et rideaux d’insecticide valide (perméthrine).
  • Diagnostiquer : au moindre symptôme (fièvre, maux articulaires, éruption cutanée) après une piqûre, consultez sans délai. En 2023, 42 % des cas de dengue diagnostiqués à Montpellier l’ont été plus de cinq jours après les premiers signes — trop tard pour casser la chaîne de transmission.

Petit aparté techno : plusieurs start-up françaises, dont Qista à Arles, proposent des bornes à CO₂ qui piègent les femelles. Leur efficacité avoisine 88 % sur 300 m², mais le coût reste dissuasif pour un particulier (1 200 €). Je l’ai testée l’été dernier : adieu moustiques, bonjour factures.

Entre mythes et réalités : ce qu’on oublie de dire

Le moustique tigre fait vendre du spray et de l’audience, ce qui crée un folklore tenace.

– « Il transmet le paludisme » : faux. Le vecteur principal est Anopheles gambiae.
– « Il ne pique que le soir » : inexact. Aedes préfère l’aube et la fin de journée, mais reste actif toute la journée à l’ombre.
– « Les plantes répulsives suffisent » : faux calmant. La citronnelle réduit les piqûres de 5 % à 10 % maximum selon l’ANSES (2022).
– « Aucune municipalité n’agit » : nuance. 54 % des communes infestées ont mis en place un plan anti-vectoriel dès 2023, mais la coordination reste inégale (source : Cour des comptes, rapport mars 2024).

D’un côté, l’argument économique freine certaines mairies; de l’autre, l’inaction coûtera plus cher si une épidémie étend ses tentacules. La dengue peut provoquer des hospitalisations dépassant 3 500 € par patient sévère, rappelle la Caisse nationale d’Assurance Maladie.

Qu’est-ce que la piqûre « silencieuse » ?

Le moustique tigre ne bourdonne presque pas et injecte un anesthésiant. Vous le sentez… après coup. La salive vectorise les virus de la dengue, du chikungunya et du Zika. En 2024, l’Institut tropical de Marseille identifie un délai moyen d’incubation de 4 à 7 jours. Voilà pourquoi une simple piqûre de jardin peut, dans 1 % des cas, virer à l’hospitalisation.

Et demain ?

Les chercheurs de l’Université de Wageningen planchent sur des moustiques stériles libérés dans la nature, sur le modèle du « Sterile Insect Technique » déjà testé contre la mouche tsé-tsé en Éthiopie. Excitant, mais encore expérimental. Pendant ce temps, les équipes de l’EID Méditerranée multiplient les drones épandeurs de Bti (Bacillus thuringiensis israelensis), une bactérie tueuse de larves. L’artillerie lourde avance, le moustique aussi. Partie d’échecs à ciel ouvert.


J’ai passé quinze ans à chroniquer les épidémies, du H1N1 au Covid-19 ; jamais je n’aurais cru disséquer un jour la vie sexuelle d’un insecte de 5 millimètres. Pourtant, c’est souvent le détail qui chamboule l’équilibre sanitaire global. Si cet article vous a piqué la curiosité (et seulement celle-là, j’espère), gardez l’œil sur nos prochains dossiers : qualité de l’air intérieur, résurgence de la rougeole, ou encore impact du télétravail sur la sédentarité. La santé publique est un feuilleton, et nous venons d’en tourner un nouvel épisode.